Une jeunesse allemande

 

Dans les années 1960, des petits-bourgeois se muent en terroristes et forment la bande à Baader. Un éclairage passionnant sur une période troublée.

Aucun commentaire dans ce documentaire. Discourir n'intéresse pas Jean-Gabriel Périot. Il préfère montrer: des actualités, des extraits d'émissions télé... A nous de nous interroger. De comprendre pourquoi, au cœur de la contestation générale des années 1960, certains jeunes Allemands ont sombré dans la révolte extrême, les attentats et le sang... Au départ, les membres de la Fraction Armée rouge, dite bande à Baader, sont des petits-bourgeois comme tant d'autres. Mais leurs parents ont accepté Hitler et ils ne s'en consolent pas. Ils rejettent, de toutes leurs forces, ce pays oublieux et le capitalisme qui y règne, désormais, qu'ils jugent effroyable. Andreas Baader et Gudrun Ensslin sont étudiants, Horst Mahler, avocat. En tant que journaliste, Ulrike Marie Meinhof est invitée une ou deux fois dans des débats, style Dossiers de l'écran, mais ses tentatives pour expliquer son dégout tournent court : nul ne l'écoute. Holger Meins, apprenti cinéaste, tourne, lui, mais le plus souvent sans les achever, des brûlots politiques dont la candeur désarme aujourd'hui... Ce sont ces documents passionnants - interviews, bouts de films -, retrouvés par Jean-Gabriel Périot, qui révèlent, peu à peu, le gouffre qui séparait la jeunesse de l'époque (mais cela a-t-il vraiment changé ?) d'une télévision au service du gouvernement et d'une presse ficelée par des financiers tout-puissants (en l'occurrence Axel Springer). C'est ce cheminement qui fait froid dans le dos : comment des révoltés, vite qualifiés de terroristes par le pouvoir, finissent par le devenir vraiment. A la surdité des uns répond le fanatisme des autres...

Deux cinéastes planent sur ce documentaire. Au tout début, Jean-Luc Godard, toujours facétieux et perfide, se demande, dans une interview de 1965, s'il sera seulement possible, pour les Allemands, de tourner à nouveau des images. A la fin, Rainer Werner Fassbinder lui répond par son sketch de L'Allemagne en automne (1977), dont on revoit un extrait : dans une scène magnifique, désespérée, il engueule sa mère pour ses opinions politiques et lui fait avouer sa crainte de la démocratie. Ce qu'il faudrait, dit-elle alors, c'est «un pouvoir autoritaire bon, aimable et décent». En quelques secondes, Fassbinder prouve à Godard que l'on peut toujours faire du grand cinéma après l'horreur. Avant. Et même pendant.

 

Pierre Murat
Télérama
17 octobre 2015